Comme c’est étrange ! « Clara » : signes distinctifs, saint-émilion, couleur, rosé et plus exactement clairet vu l’intensité de la robe. Des vrais rosés à Bordeaux ? Après un instant d’incrédulité, de perplexité, on tombe sous le charme.
A l’initiative de Kinette Gautier, maître sommelier d’expérience, et du groupe de viticulteurs « Bordeaux-Oxygène », les rosés de Bordeaux ont joué les « debs » au cours d’un bal très privé, au « 91, cours le Rouzic » à Bordeaux-Bastide, l’antre gourmande, atelier de cuisine et dégustation privé de Michel et Kinette Gautier, l’adresse la plus secrète et la plus gourmande du moment.
L’expérience, conduite de mains de maîtres, a tourné au « total show » : progression parfaite, commentaires éclairés, échange d’émotions et de connaissances…Et par-dessus tout, étonnement, surprise, plaisir renouvelé. De quoi alimenter le buzz sur ce lieu insolite.
Le « claret » est mort, vive le rosé ! Des rosés à Bordeaux, ce n’est pas à proprement parler une révolution ! L’histoire a retenu la piètre qualité – autant qu’on sache – des fameux « clarets » que vendangeaient les Anglais au Moyen-Age et qui n’avaient pour toute vinification que la durée du transport maritime en fond de cale de Bordeaux à Londres. A l’arrivée, il y avait urgence à les soutirer et à les boire. Le fameux « clairet de Quinsac » ( au demeurant bien différent !) ne suffit-il pas à rappeler cet épisode de l’histoire des vins de Bordeaux ?
Pourquoi lancer ces vins en quantité encore confidentielle à l’assaut d’un marché quasi essentiellement tropézien !
Une nouvelle génération ose ! Le pari n’a rien de gratuit. Par souci d’améliorer leur production de rouge, le plus souvent de très haut niveau – de grands crus classés sont dans le lot – certains producteurs pratiquent la « saignée ». Il s’agit d’augmenter la concentration des moûts. Et plutôt que d’envoyer par facilité l’excédent de vendange à la distillation, ils osent faire leur propre rosé. Une démarche tout aussi coûteuse que la vinification des rouges, l’élevage en moins.
On a essayé et on s’est pris au jeu ! affirme Bruno Trocard, le président de ce groupe de 18 jeunes châtelains. C’est la première fois que Bordeaux s’ouvre et répond à la demande du marché. Les jeunes consommateurs aiment le rosé ? Prouvons-leur que nos rosés ne sont pas seulement synonymes de vacances au soleil et de vins passe-partout. Notre gamme est désormais suffisante pour répondre à toutes les envies, en toute circonstance et en toute saison.
Une aventure gastronomique rare ! Mieux qu’affirmer la volonté des bordelais d’attaquer ce marché demandeur, le dîner a révélé des vins de qualité, et d’une intéressante diversité. Sans exagérer, certains producteurs ont paru étonnés devant ces dégustatrices avisées qui leur en ont appris sur eux-mêmes ! Saint-émilion, entre-deux-mers, graves, médoc, pomerol… une très large palette de couleurs et d’arômes et une chance pour ces vins : être mis en valeur par un duo de grands artistes, Kinette, maître sommelier et Michel, maître cuisinier.
Kinette Gautier, c’est une passion absolue pour son métier. Les vins n’ont aucun secret pour elle. De son propre aveu, les clairets ou les rosés n’étaient pas- jusqu’ici- sa tasse de thé. Tout a changé, son palais et son regard, lorsqu’elle a croisé le Clara du Clos Dubreuil. « Ce ne sont pas des simples vins de régulation, chacun a sa personnalité bien marquée. » Du coup, elle aussi s’est piquée au jeu, a entrepris de dresser l’inventaire des nouveaux producteurs de rosé et décidé de les faire déguster selon un cérémonial réglé par ses soins et le talent du chef Michel Gautier.
A la dévotion absolue des vins ! Ce soir là donc, dans l’atelier de cuisine de Kinette et Michel Gautier, le repas est préparé à la dévotion absolue des vins, en une totale abnégation du chef qui a mis tout ses savoir-faire et sa créativité à leur service exclusif, dans une progression très étudiée.
Résultat, un enchaînement sans ennui, sans redite, la découverte de vins d’une variété surprenante, d’une grande élégance et pour les plus maîtrisés, d’une personnalité qui ne demande qu’à soutenir la comparaison voire à surpasser des terroirs plus spécialisés.
Au total, une aventure en forme de tour complet, des terroirs, des couleurs du jour, de l’aube rose au coucher flamboyant. Une sorte de bagoua chinois, passant par tous les stades des saisons et des 5 éléments.
Acte un : un Château Thieuley, bordeaux rosé 2008, de Marie et Francis Courselle à la Sauve Majeure ; 100% cabernet, un « vrai » rosé, cultivé dans ce but, vendange précoce pour plus de fraîcheur, macération de 10 à 12 heures seulement. Il est servi sur un Lotus de pétales de roses (bio du jardin familial de Langoiran) à l’avocat, cœur de betterave et crevette rose. Délicat, romantique.
Acte deux : un Clos Fourtet, Bordeaux rosé 2008, 60% merlot, 40% cabernet. Un vin de saignée rapide pour peu de couleur. Prometteur mais Mathieu Cuvelier reconnaît sa jeunesse et son intention de passer un peu en barrique pour atteindre une palette aromatique plus complexe.
Il est servi sur l’étonnant mariage d’une « lisette » , variété de jeune maquereau, sur lit de framboises, en gelée et vinaigre balsamique de framboises « Tête Noire » ! Aguichant.
Acte trois : dans la continuité de ces mariages audacieux… « Roméo et Juliette », un saumon ( fumé maison sur douelles de la tonnellerie Demptos) en gelée de vieux whisky et concassée de truffe pour le fameux Clara de Bruno Trocard – le seul clairet des six. Une macération plus longue et l’intensité de la robe supérieure à 1,2 expliquent cette dénomination. Né sur le plateau calcaire de saint-émilion de 90% merlot, 10% cabernet. Ce 2007 a été mis tout de suite en barrique neuve, étonnante valeur ajoutée qui lui donne puissance et rondeur. Viril.
Acte quatre : Les hauts de Smith, bordeaux rosé 2008, de la famille Cathiard, 2/3 cabernet-sauvignon, 1/3 merlot, élevé 2 à 3 mois en barrique, capable de supporter le vieillissement ! La minéralité typique de son sol de graves jaillit sur l’iode d’ une brochette d’huîtres du bassin d’Arcachon aux vermicelles de concombre et « perles de France », soit des œufs d’escargot ! craquants sous la dent, à la saveur plutôt balsamique. Revigorant.
Acte cinq : Le Malartic Lagravière, Bordeaux rosé 2008, 50-50 cabernet-merlot, fait de l’aveu de son propriétaire, Jean-Jacques Bonnie, l’objet d’un challenge technique plutôt « angoissant », soit le maintien d’une certaine quantité de matière pour entamer la fermentation, avec la volonté d’atteindre une bonne fermeté en bouche. Pari réussi sur ce coup ! souligné par un filet de veau sur tarte d’aubergine, et coulis de carotte. « cossu » à souhait.
Acte six : ultime surprise avec le « Rosé by Michel Rolland » servi sur un Air de fruits rouges, coulis de fraises. Voluptueux.
Il fallait bien cette immense signature du vin pour conclure un dîner vraiment parfait ! Bravo à Kinette et Bruno Trocard pour avoir su attirer dans leurs filets le plus grand wine-maker du monde. A ce stade, on s’explose, dit Kinette ! Rolland, son « vin de table » hors normes qui se joue de la réglementation des AOC, par assemblage de différents terroirs, dont une majorité de merlots de pomerol, et les convives, unanimes à saluer les qualités de l’œnologue et de l’homme… « Respect ! » le mot a été prononcé en l’absence du « jet »-vinificateur, toujours à droite ou à gauche sur une lointaine longitude.
Ainsi, sur cet hommage spontané au magicien du vin, tombait le rideau sur un autre morceau de magie : un exercice de haute voltige culinaire, une mise en valeur exceptionnelle, si bien que les rosés de Bordeaux semblent avoir trouvé en Michel et Kinette Gautier leurs meilleurs ambassadeurs.
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