Nicolas Salle © Matthieu Cellard
Il y a toujours quelque émotion à traverser la place Vendôme, franchir le tourniquet du Ritz, croiser le portrait en majesté du grand Mansart architecte du Roi Soleil, et fouler la longue enfilade de tapis somptueux, comme une longue avenue en bleu de France.
Entre Bar Vendôme et Salon Proust, apercevoir enfin la verrière lumineuse du Jardin, la silhouette et l’aileron dressé au fronton de la Table de l’Espadon. L’emblématique trophée raconte l’amitié du fondateur César Ritz et de l’écrivain Ernest Hemingway.
Ils partageaient le même goût pour la pêche sportive… Modeste sur son parcours, « Je suis né près d’ici rue des Martyrs à Montmartre, je me suis construit tout seul. Alors, quand la direction générale avec Christian Boyens me donne les clés du Ritz Paris !… J’appréhendais un peu, le côté classique, l’image figée, le côté musée… » raconte le chef Nicolas Sale.
L’agneau – La Table de l’Espadon – Nicolas Sale © Matthieu Cellard
«Prendre la succession de Michel Roth, l’homme de la maison, plus de trente ans dans ces mythiques cuisines !». Surpris, mais sans complexe, il a tout d’un « self-made-chef », la créativité foisonnante, prêt à assumer la gestion d’une vraie PME de plus de 100 personnes. Fantasque et sage à la fois, il a tout pour réussir. Et c’est le cas.
Peu après la réouverture de l’hôtel en Juin 2016, dès la sortie du guide rouge 2017, tombent deux et une étoiles Michelin. En septembre dernier, aux Trophées des chefs tant convoités, c’est le doublé historique pour le magazine et aussi pour le Ritz Paris : chef de l’année 2017, et chef pâtissier de l’Année 2017 avec François Perret.
De ses aventures auprès des grands – Senderens (Lucas Carton), Gagnaire (au Balzac), Legendre (au George V), Jean Pierre Biffi (Potel et Chabot) et de ses ancrages successifs en tant que chef des cuisines de l’hôtel du Castellet , au Pêcheur du Cap d’Antibes, à Courchevel avec la K – collection, à Paris au Meurice, au Hyatt-Paris Madeleine – le jeune quadra a conservé une fraîcheur qui change tout.
Avec ses quatre restaurants, la brasserie au Bar Vendôme, le bistrot au Ritz Bar, et ces deux restaurants gastronomiques bien distincts : « Les Jardins de l’Espadon » et « la Table de l’Espadon », sa palette est complète, proposée 7 jours sur 7 et quasiment à toute heure, de la « matinale » au dîner, avec escale littéraire chez Monsieur Proust, pour un tea time à la française. « Un peu comme au théâtre, on joue sur tous les tableaux ! ».
A lui l’artiste d’exprimer ses talents, et ceux des meilleurs produits retenus, au fil des heures et des attentes d’une clientèle qui vient d’abord au Ritz… pour le Ritz Paris… une certaine image du prestige.
Premier acte, le Bar Vendôme aux reflets mordorés, ses hommes et femmes d’affaires, visiteurs étrangers ou gens du quartier, mode, joaillerie… L’atmosphère est chaleureuse, détendue, la carte brasserie chic.
Le Maïs – La Table de l’Espadon – Nicolas Sale © Matthieu Cellard
Les Jardins de l’Espadon, autre concept : on speede ? Service alerte, on pourra déjeuner en trois quarts d’heure montre en main pour un ticket maxi de 150 euros vin compris. C’est l’avant-goût de la Table. Et pour le chef et son équipe, le labo. Les grands classiques de la cuisine française y sont livrés à « l’épreuve », la mise au point qui décidera des plats signatures et de la régularité de la carte du soir. Ici seules quelques suggestions de saison, truffe blanche ou cèpes, marquent un enracinement dans la saveur franche des terroirs.
Enfin, la Table de l’Espadon, décor grand siècle, tout en douceur de beige rehaussé de rose : c’est le couronnement, le moment hors du temps. Un moment où, smartphones éteints, on est invité à « Aller toujours plus loin, dépasser les limites du goût », se laisser « entraîner dans une savoureuse histoire. »
Canard, betterave, tourteau, inspirent le scénario d’un récit en 4 temps : « l’appât », la mise en bouche qui prépare à la découverte. Puis la déclinaison en trois actes… Suivons l’histoire du crustacé vedette : après une « Eau de langoustine, pamplemousse, caramel d’ail », elle est servie « A cru ; au caviar impérial, citron frais, crème poivrée évolutive ; et enfin, «rôtie aux agrumes, enoki à la pistache, nage de coco-citron vert».
Amusant et logique, ce ruban de carpaccio souligné par un dégradé montant, quasi initiatique, au poivre de Tasmanie ! Pour le canard (origine de Vendée), le scenario raconte un magret fumet aux graines anciennes, puis un foie gras mi-cuit, moût de raisin à la moutarde de Brive, enfin la cuisse confite en dimsum, bouillon au vinaigre de cidre. On note le clin d’œil aux petites portions à la chinoise, le coup de toque discret à la richesse française des condiments du terroir… Prince des « Inspirations iodées », entre homard et rouget barbet, le bar de ligne, cuisson parfaite, et son fenouil en mousseline, un jus de coquillage mousseux…et surprise, un semis de bonbons d’olive noire. Effluves de Méditerranée. « Tout est dans le détail ! ».
A l’affiche des « Inspirations fermières », la volaille de Bresse, l’agneau de lait, et le « chouchou » du chef, le ris de veau, souvent incompris, ici rôti, croustillant à souhait dans sa livrée de carottes acidulées. Rien que de grands classiques pour composer ce qu’il appelle « mes univers à moi ». Une cuisine superbement maîtrisée, plus charmeuse que tapageuse, toute en séduction, en finesse, plus qu’en coups de bluff. Ce n’est pas pour rien qu’avec l’Ecole Ritz Escoffier il organise ici des master class des meilleurs savoir-faire.
La rhubarbe – La Table de l’Espadon – Nicolas Sale © Matthieu Cellard
Avec sa personnalité, le chef pâtissier reste sur le même registre. Il expose avec fierté son chef d’œuvre de marrons dorés sous une cloche de collectionneur, mais qu’elle est douce sa Vanille glacée de Madagascar, avec son blanc d’œuf à la neige sur un toast brioché caramel liquide et crème anglaise !
Combien de classiques en un seul dessert fugace ! A l’heure du thé, sous le portrait de Proust, la madeleine est à l’honneur, au cœur d’un étalage de biscuiterie à tomber ! On y lit, on y rêve, on s’y régale. Les mots clés de Nicolas Sale, simplicité – au Ritz, il n’y a qu’un pain, mais un vrai cérémonial pour le présenter et le partager sur une planche de bois- complicité – celle qui le lie, jusqu’à la fusion, à ses « bras droits », Christophe Guibert, Benjamin Astier, Frédéric Marquet, William Béquin, Lahcen Hafid, Thomas Guichard, Jonathan Rubat, Romain Dupeyre, Adrien Castillo et ses équipes ainsi que son chef pâtissier exécutif François Perret et ses équipes.
Le chocolat – La Table de l’Espadon – Nicolas Sale © Matthieu Cellard
Partage des succès comme du travail, avec cette «famille» où chacun a son mot à dire, peut suggérer un nouveau plat. On pourrait y ajouter «commando» car le groupe de choc compte dans ses rangs la chef sommelière Estelle Touzet, qui règne sur les 50.000 bouteilles de la cave Hemingway, dont elle ouvre la sélection aux terroirs moins connus que les bordeaux et bourgogne.
Pour Colin Field, le «taulier» de l’Hemingway, le meilleur cocktail est subtil et «se déguste avec les yeux, le nez, le palais» en toute modernité. Et enfin, «transmission», le dîner d’anniversaire de la passation entre Michel Roth et Nicolas Sale est prévu début septembre 2018, un menu à quatre mains, une ambiance unique en salle comme en cuisines… A propos de ses prédécesseurs : «Beaucoup de choses été ont été écrites depuis 120 ans.
La mythique pêche Melba créée au Ritz Paris, en autres… Mais je ne suis qu’un relais qui vogue et compose au présent vers des horizons plus lointain entre respect du passé et promesses d’avenir. » La Famille Ritz, Hemingway, Proust, Coco Chanel, Maria Callas ont su tisser une légende. Ne cherchez pas leurs fantômes. Dans chaque salon, galerie, terrasse, ils sont présents. Ritz, un monument classé ?… Un lieu bien vivant, pétri d’histoire, réveillé par un souffle de modernité.
La table de l’Espadon – Ritz Paris
15 Place Vendôme, 75001 Paris, France
Tél: +33 1 43 16 30 30
Internet: www.ritzparis.com
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