La Tour d’Argent et son canard numéroté… Qui fut l’heureux gagnant du millionième numéro ? Le célèbre restaurant perché au 6ème étage d’un immeuble face à Notre Dame de Paris voit s’envoler depuis des générations des milliers de canards mais cette année, il est question d’un autre envol…
André Terrail, 37 ans, le fils de Claude (disparu hélas en 2006) est un ancien élève de l’INSEAD. Le voici à présent gestionnaire de l’enseigne mythique. André a décidé de rajeunir la Tour sans copier les décors « trendy » vus ailleurs et pour cela on l’applaudit. « Il n’est pas facile de marcher dans les pas de mon grand-père : André puis de mon père, mais comme eux, je suis un homme de partage et de conviction. Notre famille a bâti une histoire composée tout au long de succès et d’échecs, de tout cela, je suis fier et respectueux ».
La Tour d’Argent a soufflé en 2016 sur 400 bougies lumineuses. L’esprit reste le même mais beaucoup de choses ont changé, la clientèle internationale et nationale- sont là pour les en remercier. « J’apprécie la nouvelle équipe au quotidien, très exactement à 11 h 45 quand vient le briefing. Nous nous informons sur le programme du jour : les invités, les nouveautés… Autour du chef Philippe Labbé, le successeur de Laurent Delarbre, MOF pendant six ans, nous étudions ce que le client pourra ou pas déguster ici ainsi que les bons conseils de la cave. La Tour d’Argent a une vision limpide des choses, personne ne s’y trompera ! « On ne vient pas ici par hasard » confirme André Terrail.
La salle est dirigée par une main du maître : Stéphane Trapier tandis que la cave est choyée par un chef sommelier : David Rigway. Le gourmand sur son nuage prendra le temps de découvrir ce qui s’appelle : « l’instant à part », au moment même où il s’installera dans son fauteuil recouvert de velours bleu. Sur la table nappée de blanc, l’attendra une timbale en argent gravée et… un petit canard en cristal de Baccarat qui fait et défait la réputation du lieu.
« Nous avons gardé cet emblème car nos clients y sont attachés, en revanche la vaisselle et la verrerie ont été entièrement renouvelées. Si 10.000 objets et bouteilles (il en reste encore 349.999, que l’on se rassure !) eurent à filer sous le marteau des maîtres priseurs de la maison Artcurial au printemps dernier, c’est parce qu’ils étaient en surnombre, qu’ils étaient obsolètes et parce que la vente nous permettait de faire face aux travaux colossaux pour nous moderniser… Voyez rien n’a été cassé et l’esprit a été bien préservé ! » confie André. « Nous visons à récupérer les étoiles que mon père Claude et mon grand-père André avaient obtenues »…
Le chef champenois Philippe Labbé, l’ancien du château de la Chèvre d’or à Eze, de l’Abeille au Shangri-La Paris (2 étoiles) et de l’Arnsbourg (3 étoiles) à Baerenthal a rejoint en avril dernier, la famille Terrail qu’il connaissait bien.
A l’unanimité (tous ceux qui sont venus y déjeuner ou dîner) l’affirment : il a gagné son pari ! La carte (une étoile) marie à la fois tradition et et audace : figurent bien entendu, le foie gras de canard grillé, le turbot de ligne ou le homard bleu de France, le ris de veau fermier au sautoir et surprise : le fameux caneton de Challans en cinq services de Liliane Burgaud (dans le menu à 195 euros)… Côté audacieux on y retrouve le Jardin d’été aux sucettes carotte sarrasin-curry piquées sur un chapeau de mousse verte, des grenouilles aux orties et couteaux, une quenelle de brochet « 21ème siècle » très légère, au jus aux champignons, morilles, écrevisses, oseille sauvage à la vanille Bourbon… Quel régal ! La carte a soigneusement été revue et corrigée par le chef qui s’inspire des goûts du jour en même temps qu’elle soit pour un établissement comme celui là, abordable (105 euros au déjeuner sans les vins).
Philippe Labbé le dit comme l’aurait sans doute dit son papa, un chef qui reçut la médaille de MOF Honoris Causa par Paul Bocuse en 1994 et qui déclencha chez lui l’envie d’être cuisinier : « tout le monde me connaît, je suis confiant, je crois qu’après vingt ans de travail culinaire acharné, je n’ai plus rien à prouver… Ce qui compte c’est d’abord de se faire plaisir. Je suis un homme de transmission, un pointilleux à la fois sur le produit, la technique, la cuisson… Notre maison de famille cultive l’excellence dans tout ce qu’elle représente : du minuscule détail à l’infini grand mais la simplicité est à mes yeux ce qu’il y a de mieux ! ».
Philippe oublie de dire qu’il travaille avec son équipe réduite (Stéphane, David et Laurent jusqu’à point d’heure, parfois jusqu’à une heure du matin !) de façon à ce que le lendemain, le plat arrive dans son plus bel éclat. « Il ne suffit pas de créer, d’ajuster, de regarder puis de goûter, il faut aussi s’assurer que le produit soit de haute qualité, de saison et corresponde aux attentes gourmandes du restaurant et des salons privés… Actuellement je mets à la carte les tomates anciennes de Bruno Cayron et je les sers avec une glace Burrata, croustille d’herbes de la garrigue, balsamique tradition 50 ans, infusion de tomates ».
A propos de fournisseur, Fabrice Robert fait précisément son entrée à la Tour d’Argent, il est l’ami des incontournables légumes de l’ouest parisien. Aujourd’hui ce seront trois cagettes de fins haricots verts couleur noire. Bien rangés dans leurs boîtes, queues conservées, on sait qu’ils seront cuisinés sans tarder par la brigade de 35 personnes, parmi lesquelles : Jonathan Gomes Brandao, Alexis Billet, Marie Legoux, Erwan le Thomas -et leur brigade-, Mourad Rachdi et Cédric Gastard, le pâtissier… S’il vous plaît d’ordonner, Monsieur, Madame, laissez-nous le soin de flatter votre goût… Service à la française irréprochable, mets de rêve réinterprétés au nom du patrimoine culinaire de la Tour d’Argent, voici les attributs 2016 remarqués et qui appellent à fêter un jour -mais en l’absence de Lauren Bacall et de Sacha Guitry-, leur deuxième étoile !
La Tour d’Argent
15 Quai de la Tournelle,
75005, Paris, France
Tel. : +33 1 43 54 23 31
Internet: www.tourdargent.com
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