Une petite histoire d’abord. Celle d’un homme répondant au nom de Deodotus Damascenus, grand voyageur originaire de Damas, qui, habillé en tenue traditionnelle arabe, ouvrit le premier café de Prague au début du 18ème siècle et fit sensation avec cette nouveauté promise ici à un bien bel avenir. La Grande Histoire ensuite, politique, culturelle et artistique, celle des avant-gardes et des révolutions, qui s‘écrit souvent dans ces lieux de rencontre et de brassage : le mouvement national tchèque au 19ème siècle dont le Café Slavia est un des plus forts symboles, le célèbre cercle des « Arconautes », groupe d’intellectuels allemands où s’illustrèrent Max Brod et de Franz Kafka et qui tire son nom du Café Arco, les grands noms de la dissidence contre le communisme souvent réunis, là encore, au Café Slavia. Une autre histoire… la vôtre. Durant votre séjour à Prague, n’oubliez pas de franchir les portes des grandes institutions pragoises ou des petits cafés de quartier et venez goûter à ces petits plaisirs qui font la réussite des plus belles vacances.
Café Impérial
Vous sortez d’un concert à la salle Smetana de la Maison municipale… Vous venez de découvrir la place Venceslas, ses palais urbains et ses passages du début du 20ème siècle… Pour rester dans cette atmosphère de la Belle Epoque, chaleureuse et mondaine, rien de tel qu’une petite halte au Café impérial situé dans la Nouvelle Ville, tout près de la petite gare Masaryk. Les pragois s’y pressent, après avoir attendu plusieurs années sa réouverture après rénovation. On comprend immédiatement pourquoi dès qu’on a franchi la porte d’entrée de ce beau bâtiment à la façade Art déco, construit en 1913-1914. Colonnes aux arabesques orientales et motifs animaliers, chapiteaux méditerranéens stylisés, plafonds en mosaïque, solennel défilé antique en bas-reliefs, ornements végétaux envahissant les murs… un incroyable décor éclectique et coloré vous accueille et on se sent immédiatement à l’aise. Avant de vous installer, ne manquez pas de jeter un coup d’oeil sur l’incroyable entrée de l’hôtel du même nom (entrée rue Na Poříčí), chef-d’oeuvre d’élégance Art déco. Le personnel est particulièrement attentif, le service discret et efficace. Avant de vous laisser entre de bonnes mains, un dernier conseil : ne boudez pas les desserts et pâtisseries qui comptent parmi les plus délicieux de la ville… et n’hésitez pas à déjeuner ou dîner sur place, on y prépare des plats particulièrement raffinés pour un excellent rapport qualité/prix. .
Café Impérial
Na Poříčí 15
110 00 Prague 1
République Tchèque
www.hotel-imperial.cz
Cafe Imperial © Cafe Imperial
Grand Café Orient
Pour les amateurs de curiosités, voici l’adresse du seul café cubiste de la capitale ! Cubiste le buffet-bar, cubistes les lustres, les chaises, les banquettes, les miroirs, les rideaux, les poignées de portes… On ne se lasse pas d’y observer la pureté des lignes, la recherche formelle dans les plus petits détails, l’harmonie douce des couleurs et des textures et d’apprécier le confort et l’intimité offerts par cette grande pièce baignée de lumière, à l’élégance subtile. Voilà une belle occasion d’aborder en pratique l’une des spécificités du mouvement cubiste tchèque qui, au début du 20e siècle, s’est illustré avec le même appétit en peinture ou en sculpture mais aussi dans l’architecture, le mobilier, l’aménagement d’intérieur ou les arts de la table. Un art conquérant qui pénètre au coeur de la vie de tous les jours en promouvant un nouvel art de vivre très cultivé. Cet idéal de l’avant-garde pragoise se réalise en 1912 avec l’ouverture du Grand Café Orient au premier étage de la Maison A la Vierge Noire, l‘un des fleurons de l’architecture cubiste de la main de Josef Gočar. Démodé, il est pourtant fermé dès les années 1920 et promis à un oubli inéluctable avant de renaître récemment, fidèlement restauré d’après des photos d’archives. Le lieu redevient vite un point de rendez-vous apprécié pour des petits déjeuners d’affaire, des chocolats en famille l’après-midi ou de délicieux cappuccino entre amis. Le Grand Café Orient, lieu inattendu où le cubisme se fait aussi art de vivre…
Grand Café Orient
Ovocný 19
Prague 1
République Tchèque
www.grandcafeorient.cz
Métro Můstek.
Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 22h et le week-end de 10h à 22h
Café Slavia
Le plus célèbre café de Prague est comme un symbole de la ville entière, de son histoire tumultueuse, de sa très riche vie intellectuelle, de sa façon de vivre, de se penser, de parler de soi. Le décor d’abord. Ici, on s’offre des places balcon-première classe pour le prix d‘un café. De grandes baies vitrées s’ouvrent sur une époustouflante vue panoramique de Prague, le château sur son éperon, les couleurs chaudes des toits de Malá Strana, le pont Charles et la Vltava, le Théâtre National… On en oublie presque le très bel intérieur fonctionnaliste où l’on se trouve, réhaussé d’ornements muraux art déco d’une élégance discrète. Le personnel est en frac, à l’ancienne, comme l’est le vestiaire à l’entrée: ici, on aime les traditions. Si le café existe, c’est bien sûr grâce au Théâtre National qui lui fait face : ouvert quelques années après lui, en 1884, il accueille son public pendant les entractes, ses comédiens après les répétitions ou les spectacles. Comme lui, il devient très vite un symbole du Renouveau National du 19e siècle. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’il tire fièrement son nom, Slavia, de la mère mythique de tous les Slaves. Les intellectuels et les artistes ne quitteront plus ses lieux inspirés jusqu’aux heures les plus noires de la normalisation communisme : les poètes Jiři Kolář et Jaroslav Seifert, le peintre symboliste Jan Zrzavý, les acteurs et les auteurs de théâtre comme Václav Havel furent parmi tant d’autres ses habitués les plus illustres. On y vient et revient, en quête d‘inspiration… Café national, café historique, café littéraire, Slavia est aussi l’image vivante d’une ville chaleureuse, aux habitants avides de débats, de discussions et de rencontres.
Café Slavia
Kavárna Slávie
Národní 1
Prague
République Tchèque
www.cafeslavia.cz
Métro Národní tfiída.
Ouvert tous les jours de 8h à 23h.
Le Louvre
Le “Louvre” n’est pas seulement un café. Au premier étage d’un immeuble de la Narodní Třida, c’est un grand complexe à plusieurs salles où l’on trouve aussi bien un restaurant, une salle de billard, une terrasse, un café que des petits salons où l’on vient manger une pâtisserie ou un plat chaud, lire le journal, discuter des actualités et regarder les passants depuis les grandes baies vitrées. Avec ses murs roses et crême, ses moulures en stuc néo-rococo, ses arcades surbaissées rythmant un espace clair et riant, on retrouve toute l’atmosphère des cafés de l’Empire austro-hongrois au tournant du 20e siècle, confortables et cossus, si nombreux à l’époque mais dont le Louvre est l’un des seuls témoins subsistant. Ce sentiment d’authenticité est d’ailleurs la plus belle réussite de ce café si l’on connait son histoire tristement banale. Ouvert en 1902 et accueillant la haute société pragoise, il est fermé en 1948 sous le régime communiste et remplacé par divers espaces de bureau. En 1992, le café renaît dans son cadre original entièrement restauré, en évitant toute superficialité. Les familles pragoises y retrouvent avec plaisir, le temps d’un café et d’un apfelstruedel, l’art de vivre chaleureux et cosy de la Belle Epoque.
Café Louvre
Národní 20
Prague
République Tchèque
www.cafelouvre.cz
Ouvert du lundi au vendredi de 8h à 23h30 et les samedi et dimanche de 9h à 23h30
Obecní Dům
À la Maison municipale, les architectes, sculpteurs, peintres, mosaïstes, stucateurs et autres décorateurs ont produit une oeuvre triomphale, au faste grandiose, devenu le grand symbole de l‘Art Nouveau en terre de Bohême. La profusion de couleurs, la richesse des matériaux, le faste décoratif et l’extraordinaire explosion végétale, ornementale et allégorique émerveille et éblouit dans toutes ses pièces et salons jusque dans son café renommé. Cadeau que le peuple tchèque se fait à lui-même à l’aube du 20ème siècle, le bâtiment polyvalent célèbre, à la barbe des allemands peuplant la rue Na Pfiikopû, l’idéal national tchèque, bourgeois et démocratique, dont il est l’expression triomphale. Bâtiment aimé du peuple, fierté d’une nation, fréquenté encore sous le joug communiste, il a fait l’objet du plus grand chantier collectif de restauration après la Révolution de Velours. Tout fut soigné jusqu’au moindre détail pour y retrouver le lustre d’antan. Il faut bien le reconnaitre, son café est maintenant fréquenté très majoritairement par les touristes de passage. Le cadre n’en reste pas moins fastueux et étincelant, magnifiquement restauré. Au fond de la grande salle où brillent à nouveau les milles feux de l’Art Nouveau, la nymphe en marbre de Carrare a retrouvé sa place sur la fontaine illuminée. N’oubliez pas de jeter également un oeil sur le restaurant francais, dans l’aile droite au rez-de-chaussée et, en sous-sol, à la brasserie tchèque à l’ancienne et au premier bar américain de Prague.
Obecní dům
Au rez-de-chaussée,
sur l’aile gauche.
Námûstí Republiky 5
110 00 Prague 1
République Tchèque
www.obecni-dum.cz
Métro Námûstí Republiky.
Ouvert tous les jours
de 7h30 à 23h.
Café Lucerna
Au passage Lucerna, on ne fait souvent que passer… Lucerna (la lanterne en tchèque) est pourtant un nom magique. C’est le Bio Lucerna, le premier cinéma permanent de Prague. C’est le Grand Hall, sorte d’Olympia tchèque où chantèrent Yves Montand et Maurice Chevalier, où dansa Joséphine Becker, où se produisirent Ella Fitzgerald, Louis Armstrong ainsi que tous les grands noms du music-hall tchèque. C’est aussi l’entrée dans l’univers fascinant des passages pragois, labyrinthes dans la ville et paradis des piétons, microcosmes où se côtoient commerces et lieux de culture, au coeur de ces immenses “palais urbains” du début du 20ème siècle. Vous rêvez donc en arpentant ce passage aux riches marbres polychromes, en levant les yeux sur sa belle coupole en verre de couleur, en montant son escalier monumental… et en pénétrant dans son accueillant café. L‘ambiance est intimiste -voire feutrée-, l’aménagement art déco sobre et élégant : un vaste comptoir, de petits lustres à lumière chaude, de grands miroirs muraux, d´élégantes tentures vert et or, de fins ornements sur une fontaine monumentale. Le service est discret et efficace, le café bon et bon marché. Les praguois ne s’y sont pas trompés, ils sont nombreux à profiter entre deux réunions de ce havre de paix au coeur d‘un grouillant quartier d’affaires, de commerce et de tourisme. Les tables près des verrières offrent une vue imprenable sur la grande coupole du passage qui éclaire le va-et-vient des passants auquel vous venez de vous soustraire.
Au passage Lucerna, vous ne faites en effet que passer. C’est pourtant bien agréable de s‘y attarder… même seulement le temps d’un café!
Café Lucerna
Vodiãkova 36
Prague – République Tchèque
www.lucerna.cz
Métro Můstek.
Ouvert tous les jours de
10h à minuit.
Café Montmartre
Fondé en 1911, le café Montmartre de Prague que l’histoire locale retient plus souvent sous le nom de « cabaret Montmartre », accueille toujours ses visiteurs de nuit comme de jour dans un immeuble de la rue €etûzová appelé U třech divých (Aux trois sauvages). A l’époque, la Bohème pragoise, friande de sobriquets et de diminutifs, en fit rapidement le « Montík », littéralement le « Martret » ; pendant la première guerre mondiale, tandis que la France devenait pour les pays tchèques une puissance ennemie, il fut désigné sous le terme de Montwaltner, du nom de son propriétaire, Josef Waltner, qui cumulait les fonctions de tenancier, de patron, de danseur hors pair et de conférencier. La légende rapporte que les personnalités les plus illustres des littératures tchèque et allemande fréquentèrent le café : Jaroslav Hašek, František Langer, les Longen, Eduard Bass, Franz Kafka, Franz Werfel, Max Brod, Johannes Urzidil ou encore Gustav Meyrink. Le programme des animations, partagé entre les langues tchèque, allemande et yiddish reflétait alors la diversité culturelle de la ville et son goût pour la polémique. Egon Ervín Kisch dont les récits et les anecdotes divertissaient le public et qui fut l’introducteur du tango à Prague, faisait figure de maître des lieux. Les artistes V. H. Brunner, František Kysela, Zdeněk Kratochvíl et Jiří Kroha qui réalisèrent non seulement la décoration du café mais aussi ses affiches et le graphisme de ses menus objets, contribuèrent eux aussi à la renommée du lieu. Les fresques qui ornaient la salle de danse, surnommée « l’Enfer », furent exécutées par V. H. Brunner sur le thème des sept péchés capitaux. Chacun des différents compartiments qui divisaient l’espace portait un nom chargé de poésie : Agonie, Mimétisme, Eden, etc. ; et la « table humide » avait ses habitués. Différents tableaux cubistes, à caractère du reste souvent parodique, étaient accrochés aux murs et une salle toute entière fut aménagée dans un style cubisto-expressionniste par Jiří Kroha. On célébrait alors, devant un imposant autel cubiste, des messes noires durant lesquelles Waltner lui-même lisait un missel et des jeunes filles officiaient en chemisier. Il nous est d’ailleurs difficile aujourd’hui de savoir s’il s’agissait d’un geste doté d’une véritable portée artistique ou d’un simple divertissement, d’une parodie ou d’un travestissement. Une des affiches que Kysela réalisa pour le café Montmartre représentait un couple en train de danser un « šlapák », danse populaire favorite des « apaches » sans doute plus ancrée dans le quartier de Holešovice, à Prague, que dans les bas-fonds parisiens. On y voit également une tête pointée de dessous la scène : il s’agit sans doute de celle de Simche Feigenblatt, serveur au Montmartre et figure locale. Sur une autre affiche réalisée par Kroha, on aperçoit une danseuse en liesse qui se trémousse, entourée d’un fouillis de visages cubistes – à moins qu’il ne s’agisse des ruines du vieux monde. Comment ne pas penser, à la vue de cette composition en bleu, blanc et rouge, à Ema Czadská, la légendaire compagne de Kisch, surnommée Emča Revoluce (Ema Révolution). Et c’est aux couleurs nationales que, après la guerre, le café Montmartre accueille la première République tchécoslovaque tandis que les anciens bohèmes, à l’aube, se sont changés en professeurs et le cubisme en un courant quasiment national. Durant les années vingt, l’énergie insatiable de Waltner donnera encore naissance aux cafés Dales et Montparnasse ainsi qu’au cabaret Babylon mais il n’y eut qu’un Montmartre et les autres ne furent jamais pour lui qu’un vaste épilogue.
Le Café Montmartre
Etězová 7, Praguea 1
République Tchèque
Ouvert du lundi au vendredi de 10h à 23h, le samedi, dimanche et les jours fériés de 12h à 23h.
Texte écrit par Joseph Kroutvor traduit Benoit Meunier
Étiquettes : Cafés à Prague, Prendre un café à Prague