Une fois traversée la cour intérieure, on prend place dans l’une des quatre salles à manger. La première salle est carrée, sobre et luxueuse, l’esprit est monacal. La table est épurée, éclairée par un spot. On y déplie sa serviette blanche, fraîchement repassée face à un somptueux triptyque d’art moderne accroché entre deux colonnes. « Le chef passionné doit rêver pendant des heures face à ses chefs d’œuvre ! » doit-on se dire. Chez cet esthète, amoureux de matériaux nobles et purs – rappelons qu’Alberto Bali reconstruisit l’intérieur de l’ancien couvent des Feuillants, chaque mets fait écho à l’ambiance, telle une horlogerie suisse. Mises en bouche épurées, hors d’œuvres repensés, plats traditionnels rajeunis, desserts sculptés. Aujourd’hui, ce sera un irrésistible festin composé de petits plats disposés dans les grands, colorés et parfumés !…
Alain Dutournier © 2010 Jérôme Chapman
Aucune fausse note ne sera à souligner pendant tout le repas, à en juger également par les assiettes des tables voisines. Le service est assuré avec simplicité, élégance et gentillesse. Pour que le client se sente bien, le chef assure : c’est un grand professionnel. Alain a pris soin de tout tester en y accordant le temps nécessaire. Choisir, créer, sentir et goûter chaque produit en compagnie de sa brigade sont ses instants incontournables chaque jour à la même heure ! Défenseur de valeurs, aimant les histoires… d’Adour, on se sent tout de suite bien dans sa maison. Avant, pendant et après avoir déplié son rond de serviette ! Alain aime parfois bavarder avec ses fidèles. Il discute peinture, jardinage, poésie ou écriture, sujets qui lui tiennent à cœur. En sa compagnie, les saisons en Adour forment un chapitre à part entière ! Et tout le monde le sait : Alain Dutournier est un arc en ciel à lui tout seul, côté sud ouest ! Avec un léger accent des Landes, il vous amuse et il vous rassure. « Enfant des gaves et de l’Adour, j’ai appris dès mon plus jeune âge, à respecter et apprécier l’authenticité des produits. Les Pyrénées, l’océan, et la forêt m’ont donné cette passion de cueilleur de goût vrai ainsi que la vocation de cuisinier ! ». Si la tradition est sa première sourced’inspiration, le marcheur devant l’Eternel (le chef s’est rendu à pied au Mont Athos) à la simple idée d’offrir du bonheur aux autres, n’attend rien en retour. Le Carré des Feuillants détient deux étoiles, il en mériterait certainement une de plus ! Autre que l’établissement gastronomique, irréprochable, le Trou gascon, Pinxo, Sydr et les Caves Marly (qui appartiennent également à Alain Dutournier) expriment eux aussi, chacun à leur manière, dans leur identité propre, le bon vivre, le bien manger et la tranquillité qui le qualifient. « Mes haricots plats tarbais ne vont pas tarder à être ramassés ! » s’exclame le chef soudainement dans mon dos. « Dès ce week-end, j’irai goûter ces tendres haricots qui poussent en grimpant sur les pieds de maïs et qui n’ont rien à voir avec les farineux haricots de plein champ ! ».
La salle à manger du Carré des feuillants © Carré des Feuillants
En disant ça, Alain Dutournier sait déjà quel goût ils auront une fois préparés !… La carte du Carré des Feuillants met en lumière le produit bien élevé et parfaitement à point dans la saison : gelée d’écrevisse, foie gras, ris de veau, cuisses de grenouille pimentées, girolles en tempura, asperges vertes de Pertuis, truffe en coulis… Derrière la vitre des pianos, la brigade s’active, le client peut, à sa guise observer ses gestes sans en percevoir le bruit. Ce qui lui donne des allures de curieux ballet. Il est midi. Les « early birds » (premiers clients, comme on dit aux USA) ne vont pas tarder à arriver. Aujourd’hui, à la première place du menu, trônera “une histoire d’anguille” : en tronçon persillée cuit à la plaque, fumée en raviole et poêlée sous forme de pibales (civelles) sautées minute… ces fameuses pibales du diamètre d’un spaghetti ont déjà 2 ans et reviennent dans nos fleuves grâce au Gulf Stream depuis la mer des Sargasses. Il est intéressant de connaître ici, la manière dont le chef les cuira … Alain les préparera dans la tradition du Sud Adour. Tout d’abord il les versera dans un saladier et y ajoutera un petit nouet de gaze contenant une prise de tabac afin de les tuer rapidement. Il les rincera puis les sèchera et les cuira à la poêle avec de la ventrêche finement hachée et les servira saisies à l’extérieur, moelleuses à l’intérieur agrémentées d’une note d’ail et de piment d’Espelette. Cette recette n’a rien à voir avec la coutume basque espagnole où elles sont ébouillantées et servies un peu molles et richement huilées.
Issu d’une école hôtelière toulousaine, Alain Dutournier remporte les combats au fur et à mesure qu’il grimpe les échelles du monde de la gastronomie. Et ses routes ne ressemblent en rien avec celles des autres, surtout quand il prend son envol avec Air France ! A 23 ans, le jeune chef arrive à Paris. Alain tombe en parfaite symbiose avec un joli resto de la place Daumesnil, dans le 12ème. Les tilleuls et le marché du mardi et du vendredi le séduisent, les banquiers sont contactés mais le butin reste maigre. Ses parents qui croient en leur garçon (et ils n’ont pas tort !), l’encouragent et finissent par hypothéquer leur propre restaurant : l’Auberge familiale… La suite, on la connaît.
La brigade de cuisine au travail chez Alain Dutournier © 2010 Jérôme Chapman
Au Carré des Feuillants, le menu régale au déjeuner comme au dîner, chaque jour. Nos préférences vont vers le menu Tentation proposé à l’heure du déjeuner avec un prix très sage (85 euros boissons comprises). Il s’ouvre sur une palette large en couleurs et en saveurs : pressé de foie gras de canard et d’asperges, rognonnade de veau servie avec une royale aux morilles et haricots mange-tout, vieux gouda accompagné de pousses douces et amères, et pour finir : une escabèche de mangue, crème glacée au chocolat, arlettes au grué de cacao. Ici, le temps s’arrête et c’est magique !
Le Carré des Feuillants
Alain Dutournier
14, rue de Castiglione
75001 · Paris · France
Tél.: +33 1 42 86 82 82
Internet : www.carredesfeuillants.fr
Menu : 85 euros (midi)