« Forever » : Sur la côte d’Azur, un nom vient naturellement aux lèvres, lorsqu’on évoque le rôle des femmes dans l’hôtellerie, celui de Madame Paul-Augier. Son rôle éminent dans la préservation d’un patrimoine d’exception, le Negresco, et son inlassable implication dans la renommée culturelle et touristique resteront à jamais au capital de Nice.
La légende du Cap : Quelques décennies plus tard, à Juan les Pins, Marianne Estène-Chauvin a entrepris le même travail, avec la même passion. Rendre tout leur lustre et tout leur charme à deux établissements exceptionnels, l’Hôtel Belles Rives et le Juana. Deux paris en un, qui portent déjà leurs fruits, témoignant d’étonnantes qualités de manager… mais pas seulement !
REFERENCES : Marianne Estène Chauvin, vous avez fait sensation, en annonçant, en 2002, que vous aviez décidé de rompre avec le traditionnel rythme saisonnier de la côte, que les Belles Rives allaient rester ouvertes toute l’année… et que vous alliez garder le personnel d’une année sur l’autre ! Quel bilan en 2009 ?
MEC : Il faut faire un peu d’histoire. En 2001, je reprends les Belles Rives, fondées en 1929 par mon grand père M. Boma, sur l’ancienne Villa Saint-Louis. L’hôtel accueille alors la naissance de la Côte d’Azur, et localement, le premier essor touristique du Cap d’Antibes, avec la venue maintes fois racontée des premiers américains, fous de soleil, de nature et de ski nautique…A l’époque le Juana est une grosse maison avec ses écuries. Sur le cap, fleuri par des jardins, on trait les vaches et boit leur lait !
En 2001, je précise que je n’hérite pas l’hôtel… Mon grand père a eu trois enfants. J’ai des frères, des sœurs et des cousins. Cet hôtel est toute une partie de mon enfance mais la vie m’a faite aussi ailleurs. J’ai étudié l’art à Paris, vécu au Maroc…Je n’ai pas de fortune personnelle. Je décide pourtant de racheter les parts des autres car il m’est insupportable d’imaginer ce patrimoine passer en d’autres mains. L’hôtel est alors une assez grosse machine bien huilée. Avec sa routine… la plage ouvre au 15 avril, on ferme pour l’hiver, il n’y a pas de restaurant gastronomique. L’été, nous faisons le marché nous-mêmes, allons choisir les légumes, le poisson…Je découvre tous les aspects des métiers de l’hôtellerie, du plus ingrat au plus gratifiant. A cet âge là, dans cette grosse maison familiale, ils le sont tous !
Mais déjà on sait que ces hôtels familiaux sont appelés à disparaître. Voyez comme leur nombre s’est réduit ces dernières années… Cap Estel revendu, incertitude au Métropole à Beaulieu…la plupart sont rachetés par de grands groupes qui les transforment dans une optique de rentabilité.
Je me lance donc. Entre 2001 et 2006, souvenez-vous, l’époque est meurtrie, difficile. Une clientèle s’abstient dans les suites des attentats du 11 septembre. Je sécurise les Belles Rives en ouvrant l’hiver.
REFERENCES : Dans cette position singulière par rapport à l’évolution économique de la profession, à aucun moment vous ne doutez, vous ne cessez d’y croire ?
MEC : A aucun moment. En économie, tout est cycle…1929, chocs pétroliers, Guerre du golfe…Il faut rester optimiste et amortir les coups. J’ai découvert avec succès que l’hiver, toute une clientèle régionale qui travaille au tourisme est disponible pour prendre enfin du bon temps. Ces personnes ont le temps de sortir. Elles sont comme moi attachées aux extraordinaires atouts de cette région. Une des meilleures preuves, une fois ouvert l’hiver, l’hôtel a toujours été complet pour les fêtes de fin d’année. Notre clientèle reste fidèle à l’attrait et à l’esprit Côte d’Azur. Cette valeur n’est absolument pas dépassée par les destinations lointaines ! Au contraire. Pour ma part j’y crois et je fais tout pour les mettre en valeur. De plus je crois très fort à la capacité de rebondissement de la Côte d’Azur après les crises !
N’oublions pas ce que les étrangers aiment chez nous : ces valeurs touristiques sont les qualités d’accueil, le charme, un art de vivre propres à la « Vieille Europe ». Il y a pour les américains en particulier comme la réminiscence d’un paradis, le désir d’y revenir, comme si ces lieux qui ont vu passer les Fitzgerald en étaient immortalisés…et faisaient partie de leur patrimoine inconscient !
Jusqu’à 50 chambres, on conserve avec le client une intimité naturelle, géographique, amicale. Beaucoup de nos clients en font un peu « la maison sur la Côte », chargée d’histoires, la maison qu’ils n’ont pas eu la chance d’avoir. Le Belles Rives, dont la façade un peu ingrate peut être dépassée sans qu’on la remarque, est comme un miroir d’Alice. De l’autre côté du miroir, un monde merveilleux s’offre un peu comme un balcon à l’italienne d’où l’on observe la mer, les îles, les bateaux…sans se lasser, protégé des rumeurs du monde.
REFERENCES : Venons en à l’achat du Juana, encore un gros pari !
MEC : A un certain moment, devant le bilan positif de mes choix, j’ai ressenti le besoin d’agrandir mon affaire. J’avais lancé une machine qui tournait rond et ne voulait plus s’arrêter, comme dans les Temps Modernes.
(observation de MCC-REFERENCES : le taylorisme en moins !)
La mode était aux chambres d’hôtes, aux hôtels de poche et de charme…Je manquais de chambres, mon potentiel était limité. Je cherche, je suis curieuse de tout, deux étoiles, gastro, table d’hôte, tout m’intéresse…quand j’apprend que le Juana est mis en vente. C’est un choc ! Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais osé l’espérer…
A ce moment là, j’ai acquis une certaine capacité de financement. Je saute sur l’occasion ! Pensez ! Le Juana (l’ancienne Maison Pauline) est le « sister hôtel » du Belles Rives. A eux deux ils écrivent la légende du Cap, celle de ces immigrés russes, chassés par la révolution bochevik, venus faire fortune ici, nos ancêtres communs. Puis l’éclosion de ce paradis.
Le Juana avait été racheté aux Barache par les Ferrante. Il avait été restauré dans toute la beauté de son style et de son luxe. Mais il avait perdu ses deux étoiles avec le départ du chef Christian Morisset.
REFERENCES : La poursuite de votre développement conjugue donc gastronomie, art et culture ?
MEC : L’ensemble dispose maintenant de 83 chambres, d’une gestion centralisée – achats, réservations, gestion du personnel. Je le dote d’un chef capable de gagner ces deux étoiles, Alain Llorca, que je suis depuis son ancien restaurant, les « Peintres », et qui a choisi de relever le défi. Nous avons en tête de faire essaimer des « cafés Llorca » sous forme de franchise ( manger pour 25 euros dans un cadre qui est le reflet du lieu)… pas tout de suite, en tout cas après la saison 2009 !
Je n’écarte pas non plus la possibilité d’aller racheter d’autre hôtels, dans le même esprit qui me vient de ma passion pour l’art. L’art est mon premier métier. Sortie de l’Ecole du Louvre – Institut Michelet– j’ai d’abord travaillé à la galerie d’art contemporain Travers, près de Beaubourg. Puis, à partir de 1978, avec une partenaire marocaine, j’ai animé la première et seule galerie d’art contemporain à Casablanca. Je ne peux m’empêcher de dire que je suis fière d’avoir révélé beaucoup d’artistes locaux exposés aujourd’hui à la Maison du Monde Arabe. J’ai été passionnée par Casablanca, heureuse de sa prise de conscience de la valeur architecturale des bâtiments des années 30 d’Outremer à travers « Casamémoire »…
Ici, je me suis dit que quoiqu’il arrive, cette villa saint Louis, ces belles Rives, ce Juana, cette aventure des premiers russes, puis des américains sur le Cap, ce monde de beauté, tout cela doit demeurer !
J’ai créé l’association culturelle « 1930 Cap d’Antibes – les Amis des belles Rives ». Nous proposons quatre promenades architecturales par an, passant par les plus belles villas et jardins. J’ai ainsi pu fédérer tous ces juanais qui avaient en commun le même amour du site et du style…et le même sens de la Fête – au sens fitzgéraldien de « Tendre est la nuit » !
Ils ont été « mon armée ». Ils seront avec moi pour aller plus loin, avec de nouveaux projets artistiques, liés à l’époque de création de nos hôtels. Aujourd’hui, Le Belles Rives est inscrit bâtiment classé du 20ième siècle ! Nous allons pouvoir continuer à y donner des fêtes.
Propos recueillis par Marie-Christiane Courtioux
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