Denis Martin en pleine réflexion
Surprenante, décoiffante, voir même déroutante, la cuisine de Denis Martin ne cessera d’étonner. Dans le même esprit conceptuel que Ferran Adria ou Heston Blumenthal, le « petit suisse de Vevey » nous fait découvrir à chaque création de menu, des plats de plus en plus « fous ». Qu’en pense-t-il?
Quelle est votre philosphie dans le travail?
D. M. : Ma philosophie, c’est Interpréter une cuisine ou le goût est le “patron”. Ma recherche est basée vraiment sur ce sujet, en ajoutant des expériences Asiatiques. Ayant travaillé très jeune en 1976 avec des chinois de Canton, j’ai appris avec eux les cuissons courtes au Wok et les assaisonnements. J’aime faire partager à mes cuisiniers mon expérience culinaire et ma curiosité pour toutes les cuisines, mais il est vrai que l’Asie est une grande partie de mon moteur de recherche.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration en cuisine ?
D. M. : L’inspiration vient souvent en “plein service” dans le coup de feu (quoi que notre cuisine est sans stress et très tranquille), j’aime bien retravailler une idée que nous faisons sur le moment et la faire évoluer, lui donner une nouvelle vie et de l’ampleur, c’est un peu comme un enfant que nous voyons grandir, j’aime que mes cuisiniers respectent les nouveaux plats comme les anciens car ils ont une vie et la nouveauté pour la nouveauté n’est pas mon domaine de recherche, mais bien plus une philosophie de construire, s’adapter au moment, à l’humeur. J’aime que toute la brigade s’investisse dans cette recherche, même si je donne le ton et les dirige vers une finalité qui est la mienne. Cependant je reste persuadé qu’un chef d’orchestre est indispensable afin qu’une mélodie ressorte de nos discussions passionnées. Nouvelle cuisine, classique ou autre… Il est important que chaque cuisinier dirige sa brigade dans le style qui lui correspond. Vouloir à tout prix être “à la page” est une erreur, la cuisine doit correspondre au tempérament de celui qui l’exécute. Ferran Adrià, Pierre Gagnaire, pour lesquels j’ai un respect illimité, correspondent exactement aux exemples dont je parle à mes cuisiniers. Leurs cuisines leur ressemblent tellement, c’est du bonheur. Nous nous posons moins la question avec les musiciens ou les peintres, ils réalisent leur art selon la voie choisie… “imaginez le groupe AC DC en smoking entrain de jouer du Baroque”, non cela ne correspond pas, la cuisine c’est exactement la même chose. Pourquoi donner à chaque fois une étiquette à un cuisinier, de toute façon, il a sa cuisine alors pour moi celui qui cuit une entrecôte de boeuf Béarnaise avec une viande bien choisie, une cuisson juste, une sauce bien assaisonnée a autant de classe que celui qui réalise une cuisine plus évolutive, mais il faut que cette entrecôte lui corresponde. Pourquoi ne pas parler de “cuisine de l’instant” : une cuisine pour tous les jours, une pour les moments de fête etc… j’aime bien comparer avec les habits du dimanche de mon enfance, nous ne les sortions pas tous les jours. Mon plus grand bonheur, c’est qu’il n’y ai pas de polémiques entres les cuisiniers, mais que du partage. Je vais chaque année depuis longtemps à El Bulli, le dimanche soir nous mangeons chez Ferran et le mardi au Rafas, un petit restaurant de Roses où nous nous régalons de couteaux et fruits de mer divers. Voilà deux cuisines, deux bonheurs à deux moments différents, cela s’appelle la Cuisine avec un grand “C” parce que réalisée avec envie, les deux ont la même classe dans des registres différents…
Propos recueillis par Jérôme Chapman
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