Denis Courtiade – Meilleur directeur de salle du Monde © Grandes Tables du monde
On présente toujours le directeur de salle du Plaza Athénée, comme l’homme fort de la galaxie Alain Ducasse. Présent dans ses entreprises depuis le début, Monte Carlo, Londres, Paris …fils de restaurateur à Sully-sur-Loire, détenteur d’un CAP à Orléans, il se fait connaître en impulsant une soft révolution dans le service « à la française ».
Le 9 octobre dernier, son professionnalisme, son engagement et sa créativité ont été distingués à Marrakech, par le prix « Mauviel 1830 » des Grandes Tables du monde : « Meilleur directeur de salle du monde ». Il est grand temps pour Denis Courtiade de passer à la vitesse supérieure et d’entrer dans la lumière.
Denis Courtiade : Ce prix va me permettre et m’obliger d’aller plus loin. Ce qui me préoccupe : la reconnaissance et la fidélisation. Professionnels du service en salle, nous avons un gros déficit de reconnaissance et de ce fait des difficultés à recruter. Dans les grands médias, il n’y a d’hypermédiatisation que pour les chefs de cuisine, les pâtissiers, les sommeliers…
La relation, l’empathie, ce n’est pas aussi expressif qu’un geste technique, la performance et l’effet visuel d’une belle assiette ! Il nous est difficile de « sacraliser » les gestes de l’accueil. Un enregistrement de Top chef est prévu début novembre chez nous au Plazza Athénée. Je ne suis pas convié ! Or, c’est vraiment méconnaitre notre rôle : le chef, c’est le laboratoire, nous, la salle, nous sommes le client ! Le chef qui hurle ses ordres en cuisine, et le serveur « grand benêt » en salle, c’est une vision « média-spectacle », tout à fait dépassée.
Références : En attendant une Star Academy du service en salle, Denis Courtiade déploie toute son énergie sur la formation des jeunes, l’avenir.
Denis Courtiade : Je vais dans les écoles hôtelières et travaille en liaison avec une professeure de CTA du Jura. J’ai entrepris de décloisonner. En 2019, il est temps de faire tomber les clichés : les écoles seraient fortes en critiques et sans solutions ; le métier serait fait d’exploiteurs sans scrupules ? Il est temps de mutualiser nos forces. L’école donne les bases, éplucher, découper, cuire…à nous de dire tout simplement : ce n’est pas du tout ringard d’être en salle. Je veux redéfinir l’ADN d’un service de qualité contemporain.
Le port d’un uniforme, par exemple, rebute certains de nos jeunes : à nous d’expliquer qu’il laisse son moi privé au vestiaire, pour entrer dans un rôle. Il devient acteur de sa présence en salle. Il n’est en rien diminué. Au contraire. Il participe au ré-enchantement d’un moment, le repas au restaurant.
Références : Plus que l’absence de nappe -qui vous a été parfois reprochée …sourires-, c’est cela la modernité ?
Denis Courtiade : Ce sont aussi les nouveaux outils. On ne cesse de voir à la télé ces gadgets de l’Intelligence artificielle. Nous les utilisons et parlons désormais de « maître d’hôtel 2.0 ». Et cela les jeunes le comprennent. Un tweet dans la poche pour signaler qu’un plat en commande est prêt, un court message pour nous alerter en cas de problème…et bien d’autres applications.
Références : Vous parlez aussi de théâtraliser ? Pour mieux satisfaire les nouveaux clients ?
Denis Courtiade : Une dame arrive en robe rouge, tous bijoux dehors, on la place au centre de la salle ! D’autres appellent la discrétion, le romantisme…Il est vrai que nous recevons de plus en plus une clientèle asiatique avec ses traditions. Certains amènent leur propre bouteille, commandent trois plats à déguster à six, ôtent leurs chaussures …D’autres –nouveaux riches ?- débarquent en tenues un peu « libres » ! Et passent le dîner à faire des selfies, quitte à déranger la table voisine ! Nous ne sommes plus dans le service un peu raide « à la française »…mais quelques excès nous obligent à une vraie diplomatie ! Comme cette influenceuse qui voulait nous imposer la présence de son photographe d’un bout à l’autre du repas…Imaginez le désordre !
Impossible dans cette salle magnifique où devrait régner l’harmonie.
Références : Prof, diplomate, psy, quoi encore, « bisouman », toujours d’actualité ?
Il s’agissait de « réconcilier » la cuisine et la salle, c’est fait. Le directeur de salle est désormais associé à l’élaboration des recettes, au choix de la vaisselle…
Denis Courtiade : C’était ma façon de dire que nous sommes là pour créer une parenthèse absolue au stress, aux soucis…D’ailleurs je viens de retrouver et poster sur internet la photo d’un chef de rang faisant un bisou au front de Paul Bocuse ! Oui ça tient toujours…Les jeunes : « Tiens voilà « bisouman » ! Des clients me réclament le bisou…Disons que je suis le garant de l’harmonie, du succès d’une nouvelle création du chef, parce que je suis –le service est- le lien affectif, la confiance…
Mon assistant me dit parfois, « vous êtes trop faible ». Ici nous avons un dress code : pas de cravate, mais toujours une veste et pas d’animal. On prend l’animal et on le dorlote en coulisse. L’important est d’éviter tout conflit, cela fait souvent gagner du temps.
Références : Un souvenir ?
Denis Courtiade : Pour la sortie de son James Bond, cela remonte un peu, Pierce Brosnan nous fait le plaisir de dîner. On me prévient : Mr. Brosnan vient de retirer sa veste ! Demande lui courtoisement de la remettre. Je ne peux pas… c’est James Bond ! Me répond le jeune serveur ! Je décide d’intervenir en douceur : Trop chaud, M. Brosnan ?… je vais faire régler la clim…Et James Bond, fin et courtois, s’est rhabillé ! Un client m’a félicité en douce !
Références : L’homme qui a fait rhabiller James Bond ! Vous avez servi tant de stars et gens célèbres, qui aimeriez-vous accueillir ?
Denis Courtiade : J’appréhende le monde du showbiz… un grand nom de la chanson et la salle est chamboulée ! Il faut beaucoup de technique et de doigté pour permettre aux autres clients de dîner en paix ! Mais cela nous vaut aussi de belles rencontres. Dernièrement un vrai héros national, le spationaute Thomas Pesquet ! J’étais très ému. Ce sont les joies de ce métier.
Références : Plus de 20 ans aux côtés d’Alain Ducasse. Un mot de cette collaboration ? jamais de nuage ?
Denis Courtiade : Il a tant de talents, de casquettes : il est notre boule à facettes. Les paillettes, le scintillement, sont tournés vers moi. C’est mon privilège.
Propos recueillis par: Marie Christiane Courtioux
« Denis Courtiade – Meilleur directeur de salle – Mauviel 1830 » 2018
Trophée Jacquart 1er chef de rang à Reims en 1991
Trophée Le Chef 1er Prix de la Salle 2015
Co fondateur de l’association Ô Service-des talents de demain
« Meilleur directeur de salle – Mauviel 1830 » 2018
Étiquettes : Denis Courtiade, gastronomie, Grandes Tables du monde, Maître d hotel, Mauviel 1830, Meilleur directeur de salle du Monde, Plaza Athénée