Jacques Maximin, La Legende © photo Patrick Gauthey
Maximin, pour ceux qui l’ont connu dès ses débuts sur le Côte d’Azur, jeune talent que seul un Roger Vergé parvient à dompter, jusqu’à la légende tranquille de ses 70 ans, copain avec les plus grands noms de la gastronomie, collaborateur et pair de Ducasse, c’est d’abord une gueule… Non il n’a pas changé. Oui il figurerait avantageusement dans un remake des Tontons flingueurs … version fourneaux. Sous les traits désormais burinés, c’est la rage d’un guerrier qui continue de battre pour un métier à nul autre pareil.
Son franc-parler est si médiagénique qu’on se l’arrache. Ainsi, cette savoureuse interview dans les rues de Paris, à bord d’une luxueuse Porsche, la marque fétiche de Jacques Maximin…Question d’un fan : Vous avez la gouaille de Gainsbourg, le charisme de Belmondo… « Le charisme s’est forgé avec le métier » répond Maxi. «Comme je ne suis pas très grand il a fallu que je m’impose autrement. J’ai parfois abusé dans le boulot… parce que je me suis dit : comment m’imposer… faire que j’inspire le respect. Donc j’ai affiché un côté petit capitaine, petit Bonaparte … un peu moins maintenant !!! ». Jacques Maximin est un tempérament, une nature, et les ans, la succession des réussites et des contrariétés ne fait rien à l’affaire. Mais alors, qui êtes-vous Jacques Maximin ? Le virtuose du poisson ? Le magicien des légumes, l’homme du Negresco qui refuse qu’on lui dise non, celui des défis, du Théâtre de Nice ou celui plus intime de la maison de Vence ? Le mal-aimé du Michelin, et de l’avis de tous, le plus brillant de sa génération ? Jacques Maximin est d’abord en 2019 celui qui fait encore son marché rue Daguerre, près du Rech, restaurant de poisson depuis 1925, avenue des Ternes à Paris. Repris en 2007 et relancé par Alain Ducasse, il propose une cuisine inédite du terroir marin de Méditerranée et d’Atlantique. Et le boss a choisi Jacques Maximin pour superviser l’équipe du chef exécutif Hiroyuki Kanazawa et lui insuffler sa maîtrise parfaite des poissons, simples comme la sardine, nobles comme la sole ou le bar ; et pour composer menus et diners événements.
« C’est magnifique un marché, c’est là que tout se passe. Que viennent les idées, la profondeur du métier. Passer commande derrière son bureau, c’est se priver du meilleur, de ce coup de cœur qui donne l’inspiration à la vue du produit. Le visuel ! D’ailleurs, beaucoup s’y font au moins photographier ! ».
Dès 1978, aux commandes du Chantecler, au prestigieux Negresco, Jacques Maximin totalement absorbé par le défi qu’on lui lance ne manque jamais de faire son marché au Cours Saleya, humant l’air iodé à la recherche du petit maraîcher, du produit le plus frais, le plus goûteux. Ainsi naît le poupeton de fleur de courgette, attachée à sa tige, farcie de la pulpe de son écorce, mie de pain, crème et œuf entier. Et par-dessus, huile vierge au basilic ou mieux, quelques copeaux de truffe… Escoffier… Lorsqu’il arrive à La Chaumière en Principauté de Monaco, en 1965, après son apprentissage au Touquet, il apprend du chef Marcel Athimond les règles strictes de la cuisine française qui règne depuis le 19ème, celle du maître Escoffier.
Jacques Maximin, La Legende © photo Patrick Gauthey
A l’hôtel Hermitage, à la Baule, même discours de Christian Willer, lui qui sera reconnu sur le tard au Martinez-La Palme d’Or à Cannes. Rigueur et discipline. Pas question de plaisanter ! Chaque geste, chaque cuisson a son code. « C’est quasi militaire ». Maximin reconnaît volontiers qu’il lui en reste cette nette tendance à gouverner sa cuisine en petit chef. Certains commis feront les frais de ses colères. Après le service militaire, la formation, la formation se complètera par un retour à Paris chez Prunier avenue Victor Hugo, connu un temps comme le meilleur restaurant de poissons, ou encore Le Pré-Catelan, autre enseigne renommée.
En 1972, retour sur la Côte pour la grande aventure ! Natif du Pas de Calais, le nom de cet adepte du confit-de-lapin de maman, de ce gamin qui croyait que les raviolis ne se faisaient qu’en boite, va rester attaché à jamais à la côte de la Méditerranée. A l’époque, les gastronomes amateurs d’abord, le grand public ensuite, découvrent les vertus de cette cuisine de soleil, alors peu réputée. La cuisine populaire nissarte, est plus folklorique, riche de saveurs franches que de raffinements. Il en parle longuement avec un expert, l’enfant du pays, le maire Jacques Médecin.
Dans ces années-là, le monde entier se bouscule déjà chez Roger Vergé pour déguster sa langouste au poivre rose. Le tout cinéma, tout Hollywood, converge ainsi au Moulin de Mougins. Et les stars du Festival de Cannes s’en régalent. La mode est lancée.
Roger Vergé, Louis Outhier à l’Oasis de La Napoule, Jo Rostang à La Bonne Auberge d’Antibes, les nouveaux venus dans les rares établissements azuréens d’alors viennent tous d’ailleurs, du nord, de l’est. « Nous découvrons ces légumes à ratatouille, ces poissons de roche… tous ces ingrédients qui stimulent notre imagination. Tout d’un coup, tout est remis en cause. Je comprends qu’on peut sortir de la cuisine d’Escoffier ! Cuisine de légumes, de soleil, de santé, oui, nous sommes à l’origine de cette révolution qui sera magistralement déclinée et médiatisée par la suite par un Ducasse et par nos jeunes, Bruno Cirino, Franck Cerutti ».
Paul Bocuse, Chapel, Lenôtre, Pierre Laporte règnent encore sur la gastronomie française. Mais arrivent de nouveaux guides, les Gault et Millau, emballés par cette nouvelle cuisine, cette nouvelle génération qui fait le pendant à Michel Guérard en Sud Ouest. En 1982, à 36 ans, Jacques Maximin sera élu meilleur jeune chef avec 19,5/20. Et la mode va perdurer.
D’autres modes viendront qui n’auront pas sa faveur. Cuisine moléculaire, cuisine d’inutiles artifices… « Je suis resté très ami avec le catalan Ferran Adria. Je l’ai connu lorsqu’il faisait un tour de France et cherchait où s’installer. Il n’allait pas imiter les Chapel, les Troisgros, fallait trouver autre chose ! ça a duré quinze ans. Finalement les artificiers se sont aperçus que le feu ne prenait pas. Mais…Chapeau l’artiste ! ». Avec son goût des formules imagées, il prédit la fin de l’aventure.
« C’était à Saint Jacques de Compostelle devant un campus de deux à trois mille étudiants. Je les ai mis en garde, je leur ai rappelé l’histoire : sur le radeau de la Méduse, il y a eu beaucoup d’embarqués mais peu ou pas de rescapés ! » – C’est clair et net : pas de trucage ou de gadget.
La cuisine de Maximin c’est d’abord la saison, le produit, illustrés par une de ses toutes dernières créations pour le Rech, le saumon sauvage de 6/7 kilos « bien gras, bien goûteux » qu’on prend plaisir à révéler à la vapeur, dans toute sa vérité. Qu’en est-il alors de la déroutante entrecôte à l’anchois et au vinaigre ? « Il y a eu une époque où on riait bien entre copains. César, le sculpteur, descendait le week-end sur la Côte. Il avait une petite amie au Scotch. Avec son appétit de vivre, il s’emparait des cuisines, et l’entrecôte c’est lui ! »
En 2007, Jacques Maximin décide d’arrêter et d’accepter la proposition d’Alain Ducasse de travailler avec lui : «Ducasse, il m’avait bluffé du temps de L’Amandier. Une cuisine tellement subtile, innovante. Je demande à le voir. Je découvre un grand escogriffe, avec une énorme barbe qui lui mange le visage. On s’est suivi, on s’est rendu des services, et voilà ! J’ai réfléchi une nuit, j’ai revendu l’argenterie, les tables et les sièges à un copain. J’ai laissé la cuisine en état. Reste plus qu’à allumer le gaz ! ».
Il lance ce petit sifflet impertinent qu’on lui connaît pour signifier, le tour est joué. Au Rech, comme il l’a fait pour le Novotel Monte Carlo, au Tour Eiffel (Groupe Accor), ou d’autres maisons, il met tout son savoir faire, toute sa passion. « Avec le recul, c’est mieux d’être chez soi ? Ou de travailler chez les autres ? Pour celui qui a bougé toute sa vie en quête du Graal, aucune différence. La création d’une nouvelle recette n’en a rien à faire. Sauf si un employeur vous mégote les moyens, le budget et la qualité des produits. Cela peut arriver de nos jours… Au Négresco j’avais carte blanche. Je vous donne le bébé, vous lui donnez le lait, m’avait assuré Madame Augier qui ne s’occupait que de décoration, d’art et du patrimoine. Et c’est vrai qu’ils se donnaient les moyens. Même si un poireau reste un poireau et tout devait être utilisé, le blanc et le vert ! Pour les truffes, pas de problème, j’en ai mis autant là que chez moi plus tard. Dommage qu’ils n’aient pas accepté de m’associer ! J’ai repris ma liberté ». Chez lui, ou chez les autres, Jacques Maximin a toujours conservé son libre arbitre, la maîtrise de sa cuisine et de son destin. Toujours donné le meilleur de lui-même.
Etoilé dès 1974, « C’est simple, j’ai toujours travaillé comme si j’avais les trois macarons ! Un jour Naegelen, l’ancien patron du Michelin m’a avoué : j’ai regretté de ne pas vous avoir donné les trois étoiles à temps… mais vous êtes parti toujours trop tôt … du Negresco, du Théâtre…Il est vrai qu’on peut faire sans. Mais c’est mieux – commercialement- de faire avec. L’essentiel, j’ai fait honneur à mon pays, à ma région.»
Quoiqu’il arrive, Jacques Maximin a ce talent de paraître toujours fringant (Jean Luc Petirenaud). La passion intacte, une formidable vitalité et son addiction à la cuisine lui permettent de rebondir : « Quand j’ai vendu Le Théâtre au groupe Flo, j’ai juste demandé qu’on reprenne mes hypothèques ! Quand je me suis refait la cerise, j’ai racheté un bistrot à Cagnes… Le bistrot de la Marine, Toujours le poisson !» – Il l’a revendu il y a trois ans et créé une société de conseil et de formation. « Si je m’arrête … » Donc, Pas question ! Au Rech, la relève est dans les starting-blocks :
« J’ai trois jeunes exceptionnels. Ils apprennent, ils écoutent, c’est un plaisir de leur transmettre ce que je sais. Se confronter aux jeunes, c’est rester dans le coup. Beaucoup de jeunes se croient chefs à vingt-trois ans. Erreur. Pour savoir qui on est, quelle cuisine on fait, il faut avoir franchi tous les échelons, lu tous les livres, fait le marché ! Je les garde pour moi, et le moment venu j’actionnerai mes réseaux pour leur mettre le pied à l’étrier. – Créer des recettes, transmettre, je vous l’ai dit, je suis addict – c’est ce qui me tient en vie ! Sans oublier, tout donner, ne rien attendre ».
Une autre passion, un autre plaisir attend sagement dans le garage de Vence, la Porsche GT3 : « réservée aux amateurs de circuits. Selon le calendrier que suit mon fils, ancien pilote, je vais au Castellet, au Luc, et je passe la journée la plus extraordinaire de ma vie » …
Maximin auteur culinaire :
Couleurs, parfums et saveurs de ma cuisine – Editions Robert Laffont
Jacques Maximin cuisine les légumes – Editions Albin Michel
Toqués de cuisine – L’école des Loisirs
La santé gourmande – Jean Claude Lattès
Les tartes de Maximin – Minerva
Jacques Maximin | La Légende
Remerciements à : Kevin Mamelin et Pêcherie Azuréenne
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