Bernard Vaussion et Guillaume Gomez – Photo © 2009 -Droits Réservés – Jérôme Chapman
Aux rois, reines, princes, ecclésiastiques, empereurs, syndicalistes ou autres dignitaires de tous pays, il leur fait goûter chaque année et sans lassitude, quatre vingt mille petits plats raffinés ! Fils d’une cuisinière solognote au service d’une demeure bourgeoise où la chasse au gibier donnait droit aux bons festins du dimanche, c’est en culotes courtes qu’il la cuisine. « A treize ans, après un stage en pâtisserie, j’envisageais d’être pâtissier mais la vie en a décidé autrement ! » dit-il. Apprenti-cuistot à seize ans à l’Ambassade des Pays bas à Paris, il poursuit en foulant le tapis rouge diplomatique : ambassade de Suède, ambassade de Grande-Bretagne où il reste trois ans. Les portes de l’Elysée le côtoyant dans la même rue, il était donc normal que Bernard les pousse un jour ! Il se retrouve en 1974, quelques mois avant la mort de Georges Pompidou, sous les ordres de Marcel Le Servot, « son maître à cuisiner ». Ensuite, il exécute, sous l’œil bienveillant de Joël Normand, chef du président François Mitterrand. Bernard, commis orfèvre du bien manger, continue à grimper un à un, les échelons. Autant dire que depuis ce temps, la grande maison de France n’a pour lui, aucuns secrets ! Après le président Jacques Chirac et son épouse Bernadette qui était une première dame attentive aux effluves émanant des sous sols, succèdent Nicolas Sarkozy et Carla. « Nous n’avons pas connu de rupture en dehors du fait que nous ne servons plus de fromage sur les tables de l’Elysée, sans doute est-ce une raison de temps écourté ou de budget, car les fromages coûtent cher ? » dit-il. Carla donne-t-elle son avis aux menus et autres décorations de tables ? « Le président voit décide très souvent seul après l’avis des intendants !»…
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Vingt quatre heures sur vingt quatre, Bernard Vaussion s’active autour d’une brigade composée de vingt trois cuistots. Parmi eux, officie un second talentueux (Meilleur Ouvrier de France) : Guillaume Gomez. Egalement, Maurice Alexis, un cuisinier qui adore, dans ses heures, « gratter la plume », comme on dit. Son beau livre : « Cuisine de brocante » est un trésor. Dans les cuisines, opèrent quatre pâtissiers. Régis Férey est un fou furieux de macarons aux framboises, façon « Hermé » ! Au département Sucre (le favori du président, dit-on !), personne n’en perd une miette.
Et puis, à l’Elysée, s’active une autre armada de spécialistes allant du saucier aux serveurs, du sommelier au plongeur : Marc Rondin. Deux intendants attitrés et hommes de précision sont les métronomes d’un agenda présidentiel au mois, à la semaine, au jour et plus souvent à la seconde qu’il faut réajuster. « Les cuisines ne dorment jamais et moins encore quand elles organisent les petits déjeuners du mercredi du Conseil des ministres, les déjeuners, les cocktails, les buffets, les dîners privés ou d’apparat… jusqu’au repas du personnel à réinventer tous les jours ! » ajoute Sylvain, un ancien du Ministère de l’Intérieur. Quelle affaire, ces repas au quotidien, quand on sait qu’il faut nourrir deux cents vingt employés !… « Nous gérons, en vérité une petite centaine de repas car le self service du numéro 2 rue de l’Elysée les accueille aussi ! ». Parfois, entre les services, comme on le constate à l’instant, débarquent un chauffeur et deux conseillers affamés réclamant « quelque chose à grignoter »… Bernard, avec la force tranquille et la gentillesse qui le qualifient, ouvre le réfrigérateur et dispose alors deux clubs sandwiches sur des assiettes.
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Bernard Vaussion assiste comme on le sait aux déplacements du chef de l’Etat, en présence ou non de son gouvernement. En France, vient d’avoir lieu le 65ème anniversaire du Débarquement en Normandie ce qui l’a obligé à garder un ?il sur le déjeuner qui se tint dans le restaurant « L’Incognito » de Stéphane Carbonne, étoilé à Caen. A l’étranger, le chef opère de la même manière, à l’ombre des rideaux officiels, comme ce fut le cas dernièrement à Madrid.
Dans le cortège, suivirent les malles en bois marquées « R.F. » (République française) remplies d’argenterie, de coutellerie, de cristallerie Baccarat et d’autres splendides menus écrits à la main par la préposée E.S Lettres. « Les ambassades retournent toujours une invitation officielle, il est important de montrer que la France n’a pas perdu son savoir faire, même si nous ne sommes plus à l’époque de Louis XIV ! » dit Bernard, aimablement. «Nous faisons parfois un repérage quelques jours avant et nous restons quoi qu’il en soit, vigilants ! ».
« Bien organisés, les choses arrivent en douceur, chacun connaît sa mission ! » renchérit l’un des intendants. En tenant ces propos, glisse le plan de table de travail en acier un poisson mayonnaise probablement destiné au président, « un mangeur normal », selon Bernard. Dernier coup d’œil… Pour d’autres gourmands, les petits fours multicolores qui s’empilent dans une corbeille partiront en étages à l’heure du café…. Précisons à cet égard, que la tarte Tatin servie avec une crème anglaise (avec ou pas de cuillère à l’Armagnac) détient une très bonne note à l’Elysée. Elle ne fait aucun commentaire spécial sinon « délicieux » comme c’est écrit sur la fiche technique obligatoire provenant avant, pendant ou après du service du protocole soucieux des allergies, des régimes et autres contraintes religieuses, qui pourraient avoir lieu au 55 rue du Faubourg Saint Honoré.
A en croire la série de casseroles en cuivre qui date de 1845 et de 1865 cabossées et accrochées au plafond, ou encore, la pile d’assiettes en porcelaine de Sèvres, à l’exemple des modèles « Oiseaux », « Capraire » ou « Favier » qui sont en train de se faire bichonner en gants blancs par Patrick Brassart, responsable du précieux matériel, on comprend que dans les cuisines de l’Elysée, l’histoire a palpité jusqu’au fond des placards. Au rythme des mixeurs qui fouettent, des cuillères qui tournent, des maryses qui étalent, comme on le voit à l’autre bout des pianos, on peut même dire que certains chaud-froid ont risqué à certaines heures… d’Etat. Et en première ligne, un chef !
Photo © 2009 -Droits Réservés – Jérôme Chapman
Comment faire parfaitement dans ces entrailles parfois incommodes … « Nous faisons tout à la main, sauf le pain : fonds de sauces, jus, fumets jusqu’aux jambons, lardons et autres saumons fumés… sans jamais rien gâcher ! Si un déjeuner ou un dîner est annulé, les restes seront servis le lendemain aux conseillers… ! » dit Bernard qui n’a rien à voir avec Vattel ! « Certaines nuits, je repense à ce qui a été servi au dernier dîner et je ne suis pas complètement satisfait, on aurait pu faire mieux !… ». En tout cas, le déjeuner organisé à Caen pour le président américain, Barak Obama fut, à l’unanimité, un immense succès : homard, poule de Bresse et trilogie de chocolats décorés à la feuille d’or. Le dîner destiné au chef de l‘Etat du Qatar, aussi. « Dans ce genre de repas, je prévois toujours un plat de rechange au cas où le serveur se prendrait les pieds dans le tapis ! » confie le perfectionniste… ».
Bernard Vaussion privilégie, autant que possible, la formation dans les écoles. « Quand il me reste une seconde, je pars à la rencontre des apprentis cuisiniers sur leurs terrains, je leur parle de mon métier, je les conseille mais je les écoute aussi énormément car ils ont beaucoup de choses intéressantes à dire aux futures générations ! Leur apporter mon soutien dans leurs concours est une autre une priorité ! ». Ainsi, le chef s’est rendu l’an passé, dans cinq écoles et a soutenu quatre vingt concours en dix ans ! Et, grande première à l’Elysée : un jeune chef lauréat s’est même vu récompensé par « un jour en cuisine » à ses côtés… de quoi le marquer à vie… Dans la lignée des bonnes initiatives élyséennes, deux stagiaires sont également conviés chaque année à œuvrer autour des prestataires de services quand vient l’heure de la Garden Party, le 14 juillet, ou, plus exactement, comme dit le président américain : « la Bastil-day » !