L’empire Ducasse
Ainsi, comme un Taj Mahal ou une muraille de Chine, le petit landais réalise son rêve. Alain de Chalosse, né tout près de la basse-cour d’une ferme pleine de vie simple, avide de tout connaître, a fait le forcing chez Guérard puis ses classes chez Chapel, son vrai maître et inspirateur. Sans oublier Roger Vergé et l’appel des saveurs de la Méditerranée qu’il va cultiver à Monaco, au Louis XV, fleuron de la Société des Bains de Mer. Au bout des apprentissages, marier saveurs du Sud-Ouest, cuisine française et dramatisation méditerranéenne, traiter le « gras » avec l’austérité du crétois : c’est le trait de génie auquel la société des gourmets était prête dans les années 80. Les contrariétés n’ont pas été épargnées à ce chanceux, fureteur de tendances, en avance sur son temps, mais il est loin le temps où Ducasse, perdait une étoile au Louis XV de Monte Carlo. Parce qu’il y avait installé un élève, Franck Cerutti, un chef de cuisine talentueux, et qu’il n’était pas encore admis de jouer les « jet chefs », les filles de l’air. Le temps du bras de fer avec le Michelin est révolu. L’empire Ducasse passe par Hong Kong, la Toscane, New York, Moscou, le Japon, comme manager, comme consultant : 680 salariés et 1800 personnes dans le monde en dépendent d’une façon ou d’une autre. Le moment est venu de faire un peu la pause. En attendant la Chine. L’appel de l’aventure, la quête de l’essentiel, la curiosité à fleur de papilles sont en sommeil, comme les braises sous la cendre. Entre le projet d’extension de son école, la création d’un CAP de la deuxième chance pour les femmes, un discours devant une société savante, Alain Ducasse rêve encore.
Idam © Pierre Monetta
Il reste tant à découvrir. « Au Japon, au Tempura Matsui, j’ai goûté dernièrement à une amertume très particulière, l’Ayu. Ce sont de tout petits poissons herbivores de rivière, très appréciés. Mais quelle amertume. Pas franchement agréable à mon goût, mais cette saveur a enrichi mon “disque dur ” ! Et puis il y a les sushis ! Les vieux sushis. Je suis allé au Japon plus de 140 fois. Je ne saurai jamais préparer un sushi. Pourtant, un journaliste m’a fait découvrir un restaurant rare. Un très vieux maître y remet l’ancienne tradition du sushi au goût du jour. Le « vieux » sushi tel qu’on le préparait et servait du temps où on ignorait la conservation par le froid dans les villes. Vous connaissez le « pissalat » que l’on trouve à Cagnes sur Mer ? Cette saumure de petits anchois…si délicieux à la fin, dont la préparation est si repoussante au premier abord, pour le novice ! Cela rappelle le fameux « garum » des latins, une façon de mariner, macérer, amener le poisson à l’extrême limite de la conservation, par un savoir-faire ancestral. Si je peux exprimer un souhait, ce serait que ce vieux Maître accepte de me confier… ».
Mood Benoit NYC © Pierre Monetta
Nouvelle jeunesse, nouvelle assurance
Le mot « secret » lui vient, mais en pur technicien, il l’écarte et lui substitue … la maîtrise. Quel art suprême ! « J’aimerais qu’il me le révèle afin que je puisse l’appliquer… au maquereau ! ». Alain Ducasse, l’enfant timide mais déterminé, le chef aux vingt étoiles est porté aujourd’hui par une nouvelle jeunesse, une nouvelle assurance qui lui permet d’afficher un clin d’œil qu’on ne lui connaissait pas, en couverture de sa nouvelle collection de guides gastronomiques. Ces portraits racontent l’histoire d’un homme épanoui, sûr de son talent et de la voie qu’il a choisie. Un homme heureux en famille, et en cuisines, toujours aussi boulimique de cette vie qui a failli lui manquer.
Beige Tokyo © Pierre Monetta
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